Hormis l'année ( 1387 ), personne ne saurait dire aujourd'hui comment est mort ce Prince de France, Roi de Navarre et Comte d'Evreux.
Force est donc de constater, qu'il me reste comme seule solution, celle de retranscrire aussi fidèlement que possible les quatre versions connues de sa mort.
Elles sont malheureusement fort divergentes les unes des autres, il vous faudra, comme moi, trier le bon grain de l'ivraie, afin de vous forger votre opinion sur la mort de ce personnage haut en couleurs de ce XIV siècle.
Citons les auteurs ayant relatés l'événement: l'évêque de Dax, dans la chronique du religieux de Saint Denis, puis Froissart édition Kervyn de Lettenhove, en troisième position Favyn XVI siècle dans histoire de la Navarre et pour finir Mézeray XVII siècle dans son histoire de France.
L'évêque de Dax: Ma très redoutée dame, après m'être humblement recommandé à vous, je vous annonce, les larmes aux yeux et le cœur navré de tristesse et d'amertume, la mort cruelle du Roi notre sire; mais c'est aussi avec une véritable joie et une vive satisfaction que je vous parlerai de la sainte et digne fin qui lui a été accordée par une grâce spéciale de la providence. Ce fut la veille de la fête de la sainte Lucie, vierge et martyre, qu'il se coucha sur son lit de douleur vers minuit; depuis ce moment il ne cessa de confesser ses péchés, renouvelant sa confession jusqu'à six fois par jour.
Lorsqu'il se sentit un peu affaibli, et il l'était plus qu'on ne le pensait et qu'il ne le croyait lui même, il reçu chaque jour le corps de Jésus Christ; il communia ainsi, dit on, dix sept fois en huit jours, après avoir maudit toutes ses erreurs.
Il reconnut un à un implicitement et explicitement, tous les articles de la foi, et en fit déclaration dans des actes publics; en un mot toutes les pratiques qui sont du devoir d'un bon prince et d'un bon catholique, il les a observées ponctuellement à la grande édification et admiration des fidèles, particulièrement de ceux qui l'ont vu et entendu à ses derniers moments, et qui se regardaient les uns les autres en s'écriant : " sainte mère de Dieu! qu'est ce que ceci ? "
Ils pensaient que c'était le saint esprit qui parlait en lui. Raconte qui pourra cette patience dont il a fait preuve, cette modestie qui ne s'est point démentie, cette humilité qu'il n'a cessé de montrer.
Pour moi, je ne saurais trouver des termes ou des pensées pour exprimer avec quelle religion il a réglé ses dernières volontés, avec quelle générosité il a récompensé les services des siens, avec quelle sollicitude il a songé à tout. On vous redira de vive voix en temps et en lieu tout ce qu'il a fait ou écrit durant sa maladie.
Il a gardé jusqu'à son dernier soupir une mémoire parfaite, une grande netteté dans les idées et toute l'ardeur d'une fervente dévotion. Tant qu'il a vécu, il a conservé l'usage de sa raison; tant qu'il a respiré, ses souvenirs ont été présents; tant qui lui est resté un souffle de vie, il a brûlé du feu de la charité.
J'ai dit qu'on eut cru voir en effet un homme bien portant plutôt qu'un malade. J'ai parlé de sa patience : il semblait plutôt calme qu'aigri par le mal. Pour ce qui est de sa mémoire, il paraissait plus occupé de ses travaux que de ses souffrances, et prouvait sa fervente charité en tournant ses pensées vers les méditations religieuses plutôt que vers le maintien de son autorité.
Il ne désirait point sa guérison, il rejetait même les moyens de revenir à la vie et luttait énergiquement, comme un athlète courageux, contre le démon et contre les délices du monde et de la chair. En un mot, il souffrait presque sans gémir et sans se plaindre, et il mourut enfin sans douleur et sans peine avec une véritable contrition. Aussi, je crois fermement qu'en quittant cette terre il est allé au ciel, ou je prie Dieu de nous réunir avec lui.
Nota : voila terminée la prose de l'évêque de Dax que je qualifie: d'eau bénite de Cour...Ouf....M de V
Jehan de Froissart: Je cite dans le texte : Et me fut dit que ce Roy de Navarre avoit tousjours, tant qu'il vesquy aimé les Dames, et encore en ces jours derniers, il avoit une très belle damoiselle accorte avec laquelle il se déportoit; car de grand temps il avoit été veuf.
Une nuit il avoit couché avec elle, et s'en retournant tout frileux vers sa chambre, dit à un de ses varlets de maison: " appareillez moi un lit, car je me veuille un petit couchiez et reposer " ainsi il fut fait. Il se despoulla et se mist en ce lit.
Quand il fut couchié, il se mist à trembler et ne se pouvoit reschauffer, car il avoit grand âge, environ soixante ans, et l'on avoit comme usage pour le réchauffer et faire suer, de bouter une bassine d'airin qui lui souffloit un air bouillant et le réchauffoit.
Il fut adonc ainsi fait, mais la chose tourna sur le pire pour le roi, ainsi que dieu ou les diables le virent, car flamme ardente se bouta en ce lit entre les linceuls de tel manière que nul ne sut oncques venir à temps pour le secourir, qu'il ne fut tout ars jusqu'à la boudine; mais pour autant il ne mourut pas si tost.
Car il vécu encore quinze jours en grande peine et grande misère, tellement que oncques médecins le soignant ne sceurent y remédier, tant qu'à la fin il en morust. Telle fut la fin du Roy de navarre.
Nota : on constate que son texte commence par " il me fut dit " il est déjà bien difficile de transcrire Froissart, je n'ose imaginer la licence que prirent les différents copistes pour que ce texte parvienne jusqu'à nous M de V
André Favyn écrivain héraldiste et avocat au parlement: Et trois mois après à sçavoir, le mardi premier jour de janvier, audict an 1386, le Roy de Navarre mourut à Pampelonne, de son âge 55 ans, deux mois et 22 jours, regna 37ans deux mois et 25 jours. ( cette façon d'écrire sent l'avocat à plein nez!)
Son cœur fut porté à sainte marie d'Uxoa, ses entrailles à sainte marie de Roncevaux et son corps ensevely en la grande église de Pampelonne auprés du cœur de la royne Jeanne de France sa femme.
Sa mort est diversement racontée. Les uns, et telle est la voix du vulgaire, qu'ayant les membres refroidis, pour les réchauffer les médecins ordonnèrent qu'il fut cousu dans un drap mouillé et trempé d'eau de vie, celui qui le cousoit ayant achevé voulut rompre le fil avec la flamme de la bougie qui l'éclairoit, une bluette de cette bougie tomba sur le linge et aussitôt l'enflamma et ensuite les draps le ciel et les rideaux du lit du roy malade, le brulèrent misérablement tout vif, il languy cruellement trois jours entiers avant de mourir.
Les plus relevez disent qu'étant alicté d'une longue maladie il fut prodigieusement bruslé par une étincelle sortie d'une boule de cuivre pleine de charbons ardents avec laquelle on lui bassinoit son lit. Ains consommé par punition divine, pour avoir travaillé son peuple d'impôts et de subsides, troublé le repos des princes ses voisins et attenté sur leurs estats et vies par séditions, massacre et empoisonnements, qui lui donnèrent la titre de cruel et de mauvais.
Car les peuples sont les parrains de leurs princes, les baptisans des noms de leurs vices ou vertus ausquels ils sont addonnez, les rendants recommendables ou de mauvaise odeur. ( Notez la mauvaise foi de cet auteur, l'importance que se donne ce petit avocat, cette mauvaise humeur cuite de Robin surgissant au bout de chaque phrase)
Mais poursuivons avec cet acrimonieux personnage : je cite L'opinion la plus véritable est, que ce prince ayant été tout le temps de sa vie fort adonné à la paillardise, il estoit tout mangé de vérole, récompense ordinaire de ceux qui suivent l'estendart de l'impudique Vénus, de sorte qu'il mourut tombant par pièces comme un ladre. Ce qui a donné lieu à ces comptes fabuleux, estoit que par ordonnance des médecins il usoit de fomentations et de bains ensoulphrez. ( nous en avons fini avec ce fumeux auteur, nul ne sait quand il mourut ni de quelle manière, pour moi je pense qu'il finit étouffé par sa propre bile!! )
François Eudes de Mézeray fut commissaire des guerres avant d'entrer à l'académie: je cite
La mort de ce roy est des plus estranges. Bien qu'il n'eust qu'environ cinquante cinq ans, ses voluptez excessives avoient tellement refroidy sa chaleur naturelle, ou quelque secrète et honteuse maladie avoit si fort altéré sa constitution, remplissant ses veines et tous les canaux par ou se porte le sang et les esprits d'une froide et visqueuse pituite, qu'il estoit tout glacé au dehors et ne pouvoit se réchauffer par quelque artifice que ce fut. ( on peut se demander s'il fut commissaire des guerres ou médecin non ?? )
Les médecins ordonnérent de l'envelopper dans un drap mouillé d'eau de vie, d'autres disent d'huile et de souphre. Or un des valets qui l'ensevelissoit, par faute de ciseaux voulut couper le fil avec la bougie, le feu glissa prestement le long de ce fil et prit au drap, qui estant trempé de cette subtile matière s'enflamma et grilla ce malheureux.
Il n'en mourut pas sur l'heure mais vescut encore six ou sept jours durant lesquels aisi à demi bruslé et souffrant des douleurs enragées il ne cessa de hurler et de maudire sa vie jusqu'à ce qu'il eut poussé son âme dehors.
Ainsi après avoir bruslé tout le temps de sa vie du feu impudique de ses passions, ainsi après avoir excité sans cesse des incendies par toute l'Europe,
Ainsi après avoir fait mourir je ne sçay combien d'innocents par des poudres empoisonnées, dont il se servoit pour ses vengeances, qui en moins de quatre ou cinq heures brusloient horriblement les entrailles de ceux qui les prenoient.
Ce grand criminel vestit la chemise ardente, et fut ensevely dans les flammes. ( sa grandiloquence finale ne peut cacher qu'il ne fait que reprendre les théories fumeuses de son acariâtre prédécesseur Favyn )
PS: Je laisse à de plus doctes que moi le soin de trancher ! ou plus simplement de se faire une opinion sur la mort de ce prince de France dont on a noirci à l'envie le personnage M de V
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