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jeudi 20 avril 2017

N°20) Poitiers vu par Chateaubriand suite 2/3



Déjà les trois cent hommes d'armes avaient embrassé leurs targes, quand voici venir un cavalier qui demande à parler au roi: on reconnut le cardinal de Périgord. Le Pape ne cessait de travailler à la réconciliation de la France et de l'Angleterre: les deux cardinaux d'Urgel et de Périgord avaient été envoyés vers les deux armées pour les engager à la paix et traiter  de la liberté du roi de Navarre. 

Le Cardinal de Périgord ne s'était point rebuté du mauvais succès de ses premières tentatives, et s'attachant aux pas des Princes rivaux, il était arrivé à l'instant même ou ils allaient vider leurs querelles.

Il court vers le roi de France; aussitôt qu'il l'aperçoit, il descend de cheval, s'incline et s'écrie en joignant les mains " très cher sire, vous avez ici toute la fleur de la chevalerie de vôtre royaume, réunie contre un petit nombre d'ennemis. Si vous pouvez en obtenir ce que vous désirez sans combattre, vous épargnerez le sang chrétien et la vie de vos sujets. Je vous conjure au nom de ce Dieu et de la charité, de me permettre d'aller vers le Prince de Galles lui représenter son péril et l'avantage de la paix ". Le roi répondit " il nous plait que cela soit ainsi; mais retournez vite ".

Le Cardinal chevauche au camp Anglais: au nom de la religion, les barrières des deux armées se baissent et laissent passer son ministre. Il trouva le prince couvert de son armure noire, au milieu de ses chevaliers et portant la devise des princes de Galles, prise de l'écusson du vieux roi de Bohême; présage qui promettait à Poitiers le destin de Crécy. "Certes beau fils, lui dit l'envoyé du pape, si vous aviez examiné l'armée du roi de France , vous me permettriez  d'essayer de conclure avec lui un traité". Le prince répondit: "j'entendrai à tout, fors à la perte de mon honneur et de celui de mes Chevaliers" Le Cardinal répondit " beau fils vous dites bien " Et il retourna en toute hâte au camp Français.

Il supplia le roi de suspendre l'attaque jusqu'au lendemain. " Vos ennemis disait il ne peuvent s'échapper; accordez leur quelques instants pour apercevoir leur péril " Jean refusa d'abord, sur l'avis de la plus grande partie de son conseil; mais par respect pour le Saint Siège, il consentit enfin à ce délai qui donna aux Anglais de se retrancher, ralentit l'ardeur du soldat, et fut la principale cause de la perte de la bataille.

Le Cardinal retourné au camp Anglais puis revenu ensuite au camp Français pour rapporter au roi les propositions du Prince noir. Celui ci offrait de rendre les prisonniers qu'il avait fait, les châteaux qu'il avait pris depuis trois ans; il s'engageait pendant sept ans à ne pas porter les armes contre la France: Villani ajoute qu'il consentait à payer deux cent mille nobles ou écus d'or pour les dégâts causés par son armée. Le prince demandait en mariage une fille du roi et pour dot de cette princesse, le seul duché d'Angoulême; enfin , il réclamait la liberté de Charles II roi de Navarre et Comte d'Evreux, s'engageant à faire consentir à son père Edouard aux conditions du traité.

Jean que les historiens représentent comme un téméraire, n'avait déjà été que trop modéré en accordant aux Anglais une suspension d'armes; il allait donner une nouvelle preuve de son esprit conciliant en acceptant l'offre du prince noir, lorsque Renaud de Chauveau évêque de Châlons se leva est dit " Sire, s'il m'en souvient bien le roi D'Angleterre, son fils et son frère le Duc de lancastre, vous ont à plusieurs reprises insulté, et ont rempli votre royaume de meurtres et de ruines. Sur terre ils ont humilié votre père Philippe et massacré votre noblesse: sur mer ils ont assailli vos vaisseaux et bruslé vos ports comme des pirates. Quelle vengeance en avez vous tirée? Quoi pour prix de ces brigandages, vous donneriez votre fille à des mains teintées du sang Français ! Dieu vous livre votre principal ennemi, ces orgueilleux Anglois, ces gascons infidèles, ces lâches qui viennent d'égorger les pastres et les laboureurs, ces incendiaires qui ont portés la flamme dans les hameaux qui fument encore, et vous les laisseriez eschapper !! .

Et croyez vous qu'ils soient de bonne foi dans ce qu'ils vous proposent? Ne connoissez vous pas leur perfidie? Sous le prétexte de faire ratifier les conditions par le monarque Anglois, ils gagneront du temps. Cependant le Duc de Lancastre qui ravage le Perche avec son armée aura rejoint le prince de Galles !! alors la victoire passera peut être à vos ennemis. Dieu nous préserve de plus grand malheur!! Ce discours dont le prélat soutint la vigueur la pique à la main, fit bouillonner dans le sein du roi l'ardeur guerrière. Allez dit le roi au Cardinal " dites au prince de galles qu'il ait à se rendre prisonnier lui et cent de ses principaux chevaliers: à cette condition, je laisserai passer son armée" .

Le prince au ouïr de ces paroles qui lui furent rapportées par le Cardinal répondit " Mes chevaliers ne seront pris que les armes à la main; quand à moi, quelque chose qu'il arrive, l'Angleterre n'aura nul besoin de payer ma rançon. Ces pourparlers occupèrent toute la journée du dimanche. La nuit était venue, les Français abondamment pourvus de vivres, se fiant à leur nombre et leur valeur, la passèrent à dormir. Les Anglais mirent ce temps précieux à profit, devant leurs archers ils creusèrent des fossés profonds, qu'ils revêtirent de palissades, dans la partie la plus faible de leur dispositif, ils se couvrirent avec leurs bagages et leurs chariots. Le Prince de Galles commanda d'apporter le butin de leur chevauchée; il en fit faire trois monceaux entre son camp et celui des Français, et y mirent le feu. Il ne restait plus rien à regretter aux Anglais, les flammes et la fumée qui s'en élevaient servi à masquer les travaux de l'ennemi tout en étonnant nos soldats.






Poitiers vu par Chateaubriand 1/3


Pour Chateaubriand, deux nations ainsi descendues dans la lice ne pouvaient pas plus refuser le combat, qu'un homme de coeur ne peut se dispenser de tirer l'épée quand il a reçu un affront.

                Or donc il fut résolu au conseil du Roi de France de marcher droit à l'ennemi. Aussitôt les ordres sont donnés; les cors de chasse et les trompettes sonnent haut et clair; les ménéstriers jouent de leurs instruments, les soldats s'apprêtent, les seigneurs déploient leurs bannières; les chevaliers montent à cheval et viennent se ranger à l'endroit ou l'étendard des lis et l'oriflamme flottaient au vent.

On voyait courir les chevaucheurs, les poursuivants, les héraults d'armes, les pages, les varlets, avec la casaque, le blason et la devise de leurs maîtres. Partout brillaient belles cuirasses, riches armoiries, lances, écus, heaumes et pennons; là se trouvait toute la fleur de la France, car nul chevalier ni écuyer n'avait osé demeurer au manoir. On entendait au milieu des fanfares, de la voix des chefs, du hennissement de chevaux, retentir les cris d'armes des différents seigneurs. Tous ces cris étaient dominés par le cri de France " Montjoie Saint Denis ", par des complaintes en l'honneur de la Vierge, et par la chanson de Roland. Des vassaux, tête nue, sous la bannière de leur paroisse, et portant des colobes et des tabards (espèce de chemise sans manche et de manteau court); des barons en chaperons, en robes longues et fourrées, marchant sous les couleurs de leurs dames; une infanterie en peliçon ou jaquette armés d'arcs, d'arbalètes, de bâtons ferrés et de fauchards; une cavalerie couverte de fer, portant le bassinet et la lance; des évêques en cottes de mailles et en mitre; des aumôniers, des confesseurs; des croix, des images de saints; de nouvelles et d'anciennes machines de guerre; toute cette armée, enfin, présentait aux feux du soleil un spectacle aussi extraordinaire que brillant et varié.

Les troupes réunies formaient plus de soixante mille combattants: on y voyait le frère et les quatre fils du roi, la plupart des seigneurs des fleurs de lis, d'illustres commandants étrangers, trois mille chevaliers portant bannières. Tous ces guerriers avaient à leur tête le roi, qui, s'il n'était pas le plus grand capitaine de son royaume, en était du moins le plus brave soldat et le premier chevalier.

L'armée fut divisée en trois batailles, par l'avis du connétable Jean de Brienne et des deux maréchaux d'Audeneham ( Arnould d'Audrehem)et de Clermont. Le Duc d'Orléans, frère du roi, ayant sous lui trente six bannières  et deux cent pennons, commandait la première bataille; la seconde avait pour chef le Dauphin Charles, Duc de Normandie (futur Charles V le sage); ses deux frères Louis et Jean marchaient avec lui: les trois Princes étaient sous la garde des sires de Saint Venant, de Landas, de Vondenay et de Cervolles, dit l'Archiprêtre (célèbre aventurier). Le roi menait la troisième bataille avec Philippe le plus jeune de ses fils, tige de la seconde maison de Bourgogne.

Ces trois corps qui auraient pu envelopper l'ennemi en tournant la position du Prince de Galles, furent disposés sur une ligne oblique, un peu en arrière les uns des autres. L'aile gauche, la plus proche de l'ennemi, et sous les ordres du Duc d'Orléans, n'était séparée des Anglais que par un monticule, dont on négligera de s'emparer; le Dauphin commandait au centre et le roi à l'aile droite constituant la réserve. On jugera de la science militaire de ce temps, quand on saura que ces dispositions se faisaient avant d'avoir reconnu le terrain occupé par le Prince de Galles.

Tandis que l'armée Française se mettait en place, le roi envoya trois chevaliers examiner le camp d'Edouard de Woodstock Prince de Galles. Au retour ils rendirent compte au roi de ce qu'ils avaient observés. L'ennemi s'était retranché au milieu d'une vigne, sur une petite hauteur, auprès d'un village appelé Maupertuis; pour aller vers lui il n'y avait qu'un chemin creux, bordé de deux haies épaisses, et si étroit qu'à peine trois cavaliers y pouvaient passer de front. Le prince avait embusqué des archers derrière ces haies. Parvenu au bout de ce défilé on trouvait l'armée Anglaise, composée au tout de deux mille hommes d'armes, quatre mille archers et de quinze cent aventuriers. Il n'y avait guère sur ces sept à huit mille hommes que trois mille Anglais: le reste était Français et Gascons.

Le Prince avait fait mettre à pied à terre à toute sa cavalerie, qui ne pouvait agir sur le terrain ou elle se trouvait: le tout formait sur la pente de la colline, un corps d'infanterie pesamment armé, retranché parmi des buissons et des vignes, couvert sur son front par des archers rangés en forme de herse. Cette disposition était l'ouvrage de James d'Audeley, chevalier d'une grande expérience.

Le Prince Noir avait pour compagnon les plus vaillants guerriers d'Angleterre et de Guyenne, on remarquait, Jean Lord Chandos, les Comtes de Warwick et de Suffolk, Richard Stanfort, James d'Audeley et Pierre son frère, sir basset, pour la Guyenne on comptait le Captal de Buch, Jean Chaumont, les sires de Lesparre, de Rozem, de Montferrand, de landuras, de Prumes, de Bourguenze, d'Aubrecicourt, et de Ghistelles.

Ribaumont ayant peint au roi la position des ennemis, Jean II lui demanda comment on les devait attaquer. " tous à pied, excepté trois cent armures de fer parmi les plus habiles et les plus chevalereuses: elles entreront  dans le chemin creux pour rompre les archers, elles seront suivie du reste des hommes d'armes à pied, pour donner sur les hommes d'armes Anglais qui sont en bataille sur la hauteur au bout du défilé, et pour les combattre de la main à la main.

Jean II suivit cet avis qui lui plaisait par sa hardiesse: mieux conseillé, il aurait fait attaquer les archers à dos, et les eut chassés des deux haies avant de s'engager dans le défilé. Les maréchaux d'après le plan adopté, désignèrent les trois cents cavaliers qui devaient ouvrir le chemin. Le reste des hommes d'armes fut démonté; on leur ordonna d'ôter leurs éperons de tailler leurs piques, et de les réduire à cinq pieds de long, pour s'en servir plus facilement dans la mêlée.

Un corps d'Allemands commandé par les Comte de Nidau, de Nassau et de Saarbruck, demeura à cheval afin de soutenir en cas de besoin, les hommes d'armes à l'attaque dans le défilé. Le roi accompagné de vingt chevaliers se mit au milieu de ces Allemands pour voir de plus près le commencement de l'action. Tout étant ainsi  disposé on pouvait donner le signal du combat.