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lundi 13 mai 2024

Les Compagnies Folles

De toutes les associations médiévales et Dieu sait si elles furent nombreuses, une des plus étranges, des plus énigmatiques est, sans aucun doute la Confrérie Facétieuse, reconnue officiellement, dotée de statuts, de privilèges et de biens 

Cette confraternité juvénile sort de l'ombre dans plusieurs régions de France à la fin du moyen âge, et ce sous diverses appellations. On parle selon l'époque, le lieu ou la fonction, d'abbaye de la jeunesse (Pierrelatte), ou de jovens (Beaucaire), de royaume des Fous, des Asnes, des Sots, des Sans Souci, des Badins, des Turlupins, mais encore de Principauté d'Amour en Provence, de Gaîté du plaisir ou de Bachelleries en Poitou

La liste est longue ! citons encore les confréries de Connards à Evreux et Rouen, d'Etourdis ou de Coqueluchiers (Rouen), de Malépargne en Abbeville et Douai, de Bon ou de Malgouverne à Mâcon, de Maugouverne à Poitiers, de la Mère Folle à Dijon, des Hyldeux à Cambrai, des Mauvaises Braies à Laon.....stoppons  la !! la liste est inépuisable et lacunaire la plupart des organisations de ce type ayant disparues sans laisser de traces








Ces joyeuses compagnies juvéniles, maîtresses de la rue, prolifèrent dans les grands centres, une quinzaine à Lyon, une dizaine à Arras. Elles ont selon les endroits une assise sociale prononcée, les nobles d'un côté, les roturiers de l'autre comme à Arles, ou une composante socio-professionnelle, plus souvent une base territoriale

On trouve de grandes bandes dominantes et d'autres plus petites qui reposent sur une structure paroissiale ou sur un quartier comme à Périgueux. On trouve même des fédérations de confréries de jeunesse avec un responsable général et des adjoints ( des capitaines), à la tête des subdivisions internes comme celui de la rue Mercière à Lyon 

Ces associations burlesques, réunion de célibataires et de jeunes mariés, tous âges confondus à l'exclusion des moins de 18 ans (jugés trop jeunes) et de ceux qui vont allègrement vers la quarantaine (jugés trop vieux), vont élire un chef. Ici un Roy, la un Prince, ailleurs un simple titre d'Abbé..il portera ce titre ronflant de Roy, Prince ou Abbé de la jeunesse, ou du plaisir, ou des sots, des pimperlots (Douai), des connards (Rouen). Cela peut être aussi un Prévôt des étourdis, ou une Mère folle d'enfance, qui n'est pas toujours une femme (Dijon)











P
eu importe le nom. le choix se porte sur le plus Sot (extravagant), le mieulx disans, ou sur un portant haut la trogne, connu pour son sens de l'humour, ses plaisanteries grivoises, pour ses capacités d'absorption de divers alcools et vraisemblablement de ses performances au lit !!

L'élection donne lieu à des manifestations pittoresques, des joutes oratoires ( Saint Quentin), des réceptions à l'hôtel de ville, à moult banquets et beuveries. Les festivités durent plusieurs jours et s'accompagnent de défilés costumés, "es rues" de la cité, avec bannières et tambours. Ils portaient des masques et des déguisements étranges

Un tintamarre de casseroles de crécelles et de sifflets les accompagnent, ils pratiquaient force pasquils (bouffonneries) lors des arrêts de leurs processions, avec rébus, satyres et lazzis jetés à la tête des badauds

Sire Roy, Mère folle, messire l'Abbé ont bien sur une cour à leur image. Un roy couronné ou un Abbé mitré ne peuvent se déplacer qu'accompagnés de lieutenants, d'officiers, de sergents, de porte-enseignes et de bouffons et même d'une cohorte caricturale d'évêques de moines et de moinillons !!!










On s'interroge sur la signification de pareilles institutions, généralement parfaitement intégrées dans la cité et reconnue par les autorités, sans exclure une fonction charitable et religieuse ! Beaucoup de médiévistes pensent qu'elles servent surtout à canaliser l'agressivité juvénile, à tempérer ou a ritualiser une violence capable de conduire aux pires excès. Il n'est pas impossible qu'elles aient contribué localement à réduire les cas de viols collectifs

On leur reconnaît aussi un droit de regard sur le mariage et la vie conjugale. Pour bien saisir ce rôle et, en même temps un des traits essentiels de la mentalité médiévale, il faut savoir, que chaque individu du monde médiéval est pris dans un écheveau complexe et astreignant de liens familiaux, de sorte que le mariage, élément de perturbation, ne peut être laissé à la totale discrétion des intéressés.

Par ailleurs, beaucoup de jeunes gens, en âge de se marier, ne peuvent réaliser leur désir dans un cadre restreint tel qu'un village, un bourg ou une cité. Des varlets, des compagnons doivent attendre de longues années, dépasser la trentaine, avant de convoler en justes noces !! Il en résulte une frustration larvée, une animosité à l'égard de l'étranger qui cherche à s'introduire dans une communauté familiale









Mais aussi du barbon (vieil âge), qui peut tout se permettre avec sa fortune, du veuf qui se remarie, alors que tant d'autres sont exclus de cette possibilité, de la riche veuve qui s'offre un jeune compagnon, sans oublier le profond mépris pour celui qui a pris " un sexe de poule " (sic). Ces jeunes coqs de la rue, portant haut la crête, sont des phallocrates incorrigibles

Ils ont la verve grossière et visent de préférence les femmes de petite vertu, les épouses infidèles, les jeunettes séduites, les vieilles filles ou les mégères acariâtres. Il faut déjà savoir, que tout mariage normal donne lieu à des chahuts nocturnes, à des chants sous les fenêtres des nouveaux époux jusqu'à ce qu'ils aient payé à boire ou versé leur écot, nommé " le vin de culaige " dans certaines régions !!!

On nomme aussi aubade bruyante, donnée par les jeunes de la ville, célibataires et mariés confondus, sous les fenêtres d'un domicile particulier, avec force casseroles, bassines et chaudrons, accompagnés de chansons paillardes, de cris, voire même d'insultes, visant veufs ou veuves aspirant au remariage, les ménages désunis, les maris bafoués, les concubines de curés, le tout finissant bien souvent en de violentes altercations de rues, avec échange de bourres Pifs et coups de pieds de par le cul !!!!




PS: Ahaaa que de joyeusetés dans cette vie des rues au Moyen âge !!!....texte écrit d'après l'excellent livre de J-P Leguay " la rue au Moyen Age "...M de V