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vendredi 8 mars 2019

N°295) Jehan Froissart raconte le bal des Ardents

Or il advint, qu'en l'hôtel du roi allait se faire le mariage d'un jeune chevalier de Normandie et d'une jeune demoiselle de la Reine. Le roi la reine et tout l'hôtel en furent réjouis, le roi voulut faire les noces en l'hôtel Saint Pol à Paris devant grande foison de bonnes gens et seigneurs. On y dansa et mena grande fête tout le jour, puis le soir venant, le roi donna à souper aux dames et la reine y tint sa cour.

Il y avait la un jeune écuyer de Normandie qui avait pour nom Hugonin de Guisay, lequel en son particulier, s'avisa de faire un divertissement afin de complaire au roi et aux dames. Le jour des Noces fut un mardi avant la chandeleur, sur ce soir d'hiver il fit porter et mettre en une chambre six habits de toile, qu'il fit parsemer de fin fils de lin teintés aux couleurs de cheveux !!

Le moment venu, après le repas il en fit revêtir un au roi, puis un autre au Comte de Joigny, le troisième à messire Charles de Poitiers, puis un à messire Yvain de Galles Bâtard de Foix, le cinquième au fils de Monseigneur de Nantouillet, puis se vêtit du sixième. Quand ils furent tous dedans enfermés et cousus, ils semblaient être des hommes sauvages, car ils étaient comme couverts de poils de la tête à la plante des pieds !!

Cette idée plaisait fort au roi de France et il en savait grand grè à l'écuyer qui l'avait imaginé. Ils s'étaient revêtus si secrètement dans cette chambre que nul en l'hôtel ne savait rien de cette affaire !, sauf eux mêmes et les valets qui les avaient habillés.

Messire Yvain de Foix eut en pensée le danger de ces costumes, et de ce qu'il pourrait en advenir, aussi dit il au roi " sire faites commander bien sévèrement que l'on ne nous approche avec des torches !!, car si on le faisait et que l'air du feu entrât dans ces habits dont nous sommes déguisés, le poil prendrait l'air du feu et nous serions brûlés et perdus sans remède je vous le dit ! "









Au nom de Dieu dit le roi, vous parlez bien et sagement, il en sera fait ainsi. Le roi fit donc défense aux valets de les suivre avec des torches, puis fit venir l'huissier d'armes qui se trouvait à l'entrée de la chambre et lui dit " va t'en en salle ou l'on danse et commande de par le roi, que toutes les torches se retirent à part et que nul ne s'approche des six hommes qui vont venir !!

L'huissier fit son commandement, tant et si bien que ceux qui tenaient des torches se retirèrent à part, dans la salle ne demeurait plus que les dames et demoiselles, ainsi que les chevaliers et écuyers qui dansaient.

A quelques temps de la arriva le Duc d'Orléans, accompagné de quatre chevaliers et six porteurs de torches, qui ne savaient rien du commandement du roi, il commença par regarder les danses puis dansa lui même. A ce moment voici venir les hommes sauvages et le roi, il n'y avait ni hommes ni femmes qui pût les reconnaître !. Cinq étaient attachés entre eux et le roi menait le cortège, on ne s'occupa plus que de les regarder et personne ne songea plus aux torches !!

Le roi se sépara de ses compagnons pour aller vers les dames, ce qui fut heureux!!, et s'en vint vers la Duchesse de Berry, sa tante, qui était aussi la plus jeune. La Duchesse par gaieté le prit et voulait à toute force savoir qui il était ?, le roi par jeu ne voulait point se nommer, la Duchesse dit alors " vous ne m'échapperez point sans que je sache votre nom "








En ce désordre survint le grand malheur dont le Duc d'Orléans fut la cause, quoique la jeunesse et peut être l'ignorance en furent causes ??. Il voulu lui aussi à tout prix savoir qui étaient ces sauvages et pendant que les cinq autres dansaient, il abaissa la torche que tenait l'un de ses valets si prêt que la chaleur entra dans le lin d'un habit !!

Vous savez que l'on ne peut éteindre le Lin quand il est enflammé, et la flamme échauffa la poix par laquelle les fils de lin étaient fixés à l'habit de toile, le feu s'en prit aux chemises garnies de Lin et de poix des autres qui se mirent à brûler et ceux qui les portaient commencèrent à pousser des cris horribles

Certains chevaliers s'avancèrent pour les aider, mais la chaleur de la poix brûlait les mains et ils en furent tous blessés. L'un des cinq, Nantouillet, s'avisant que l'office était proche y courut et se jeta dans un cuvier plein d'eau ou l'on rinçait les verres, ce qui le sauva d'être brûlé et tué comme les autres

Dans la salle le désordre, la douleur et les cris étaient tels que l'on ne savait que faire. La Duchesse de Berry sauva le roi en le cachant de sa robe dont elle le couvrit pour qu'il échappe au feu, le roi voulait la quitter à toute force, " ou voulez vous aller dit elle !! vos compagnons brûlent, mais qui êtes vous ??, je suis le roi dit il !....Ah monseigneur allez vite mettre un autre habit afin que la reine vous voie, car elle est dans une grande inquiétude









 Ainsi fit le roi et s'en vint dans sa chambre et se fit déshabiller, puis revêtit un habit et vint ensuite vers la reine, pendant ce temps le bâtard de Foix qui brûlait criait à haute voix sauvez le roi, sauvez le roi. Vraiment il fut sauvé de la manière que je vous dit, lorsqu'il se sépara de ses compagnons pour aller vers les dames, car s'il fut demeuré avec eux il était perdu et mort sans remède

Dans la salle de l'hôtel Saint Pol, vers minuit, le spectacle et l'odeur étaient horribles, que c'était grande pitié à voir et à sentir !!! Des quatre qui brûlaient deux moururent sur place, et le feu s'éteignant, le Bâtard de Foix et le Comte de Joigny furent portés en leurs en leurs hôtels ou ils moururent dans les deux jours à grande peine et martyre !!!





PS: La traduction est de votre copiste le nain, soyez indulgent, la transcription de Froissart n'est pas dès plus simple M de V