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samedi 16 décembre 2023

N°475 le conte de l'Yvroingne et du Prieur, XV Siècle

En une cité de Hollande (La Haye), comme un Prieur se promenoit, en disant ses heures, sur le Serain (tombée du jour), assez près de la chapelle de Sainct Antonyne, située au bois de la dicte Ville. Il fut rencontré d'ung grant et lourd Hollandois, si tant yvre, que c'estoit merveille, lequel demouroit en un villaige nommé Stevelinghes, à deux lieux près d'illec (de ce lieu)

Le Prieur de loing le voyant venir, congneut tanstôt son cas (conoistre son état), par la lourde desmarche et mal seures (mauvaise assurance), qu'il avoit en tirant son chemin !. Quant ils veindrent pour se joindre l'ung à l'autre (se croiser), l'yvroingne salua le premier, le prieur lui rendit son salut et passa oultre, continuant son service, sans aultre propos de l'arrester ni de l'interroguer !

Mais l'yvroingne tant oultré (plein comme une outre), que plus ne pouvoit, se retourne, poursuit le Prieur et requist de lui confession !!!!. Confession dist le Prieur, va-t'en, va -t'en, tu es bien confessé !!!!. Hélas, Sire, répond l'yvroingne, par dieu, confessez moy, j'ay très fresche mémoire de tout mes pechiez et en ay parfaicte contricion !!

Le Prieur desplaisant d'estre empesché par cest yvroingne répond " va ton chemin, il ne te faut confesser, car tu es en très bon estat !! "...Ha dea !, dist l'yvroingne, par la mort bieu (dieu), vous me confesserez maistre Prieur, car j'en ai en ceste heure grande dévocion !





Il le saisit par la manche et le voulut arrester. Ce Prieur ne vouloit entendre, mais avoit grande faim (désir) que merveille de s'eschapper de l'aultre !!, mais rien n'y vaut, car il estoit ferme en sa dévocion d'estre confessé, ce que le Prieur tousjours refuse ! et s'il s'en cuide désarmer (s'il pense de l'ivrogne se débarrasser), il n'en peut car la dévocion de l'yvroingne de plus en plus se renforce!!

Quant il voit le Prieur tousjours refusant d'ouyr ses pechiez, il met la main à sa grande coutille (couteau) et de sa gayne la tire et dit au Prieur qu'il le tuera, si bien il n'escoute pas sa confession !!
Le Prieur doubtant ( craignant) le cousteau et la main périlleuse qui le tenoit, si demande à l'aultre ...que veulx tu dire ???

Je me veuil confesser dit il !!...Or avant dist le Prieur, aussi je le veuil, avance toy !

Nostre yvroingne plus saoul que Grive sortant d'une vigne commença sa dévote confession, laquelle nous passerons, car le Prieur, comme le veulx son estat, jamais ne la révéla, mais vous pouvez pourpenser qu'elle fut bien longue, difficile et estrange !!!









Quant le Prieur vit poindre de longues et lourdes paroles, le chemin lui coupa (la parole), donnant à l'yvroingne absolution et congié puis lui dist " va-t'en tu es bien confessé !!!!

Dictes-vous sire ?? (que dites vous), répond l'yvroingne. Ouy vraiment dist le Prieur, ta confession est très bonne, va-t'en tu ne peuz mal avoir !

Puis que je suis bien confessé et que j'ay l'absolution receu à ceste heure, si je mouroye, n'yroye point en paradis ??, manda l'yvroingne
Tout droit sans faillir, répond le prieur, n'en faiz nul doubte !!!

Puis qu'ainsi est, dit l'yvroingne, que maintenant je suis en bon estat et en chemin de paradis, qu'il y fait tant bel et tant bon, je vueil mourir tout maintenant, afin qu'incontinent je y aille !

Si l'yvroingne prent et baille son cousteau au prieur, en luy priant qu'il luy tranchast la teste, afin qu'il allast en paradis...Ha, dea !, dist le prieur tout esbahy, il n'est jà mestier (besoin) d'ainsi faire !, tu yras bien en paradis par aultre voye !!









Nenny, respond l'yvroingne, je y vueil aller tout maintenant ! et icy mourir par voz mainz, avancez vous et me tuez !...Non feray point dist le prieur, un prestre ne doit personne tuer !!

Si ferez, sire, par la mort bieu ! et si bientôt ne me depeschiez et me mettez en paradis, moy mesmes de mes deux mains vous occiray !, et à ces motz, brandit son grant cousteau, et en fait monstre aux yeulx du povre prieur tout espovanté et assimply (stupéfait)

Au fort, après qu'il eut ung peu pensé, et affin d'estre de son yvroingne despéchié, lequel de plus en plus l'aggresse !, il prend le cousteau et dist " Or ça, puis que tu veulx finer (finir), par mes mains, metz toy à genoulz cy devant moy ". L'yvroingne ne s'en fist gueres preschié (prier) et du hault de luy se laissa tomber sur les genoulz, mains joinctes, et cuidant mourir attendoit ! 

Du dos du cousteau, le prieur fiert (de férir) sur le col, un grant coup et par terre l'abat bien rudement. En cest estat le laissa le prieur, qui pour sa seureté n'oublia pas de garder le cousteau. En chemin il rencontra ung chariot, chargé de gens, qui avoient esté present ou nostre yvroingne s'estoit chargié (avoit bu)









Il racompta en long le mistère dessusdit, , en leur priant qu'ilz le levassent et qu'en son ostel le voulsissent rendre et conduire. Ils promirent de le chargier avec eulx, le prieur leur bailla le cousteau puis s'en va !

Ilz n'eurent gueres cheminé, qu'ils apperceurent ce bon yvroingne couchié, les dens contre terre !. Si le prindrent par la teste, par les piez, le leverent à grants huchements (cris), qu'il ouvrit les yeulx et dist " laissez moy, laissez moy je suis mort et déjà en paradis !! "....Vous vous en viendrez dirent les aultres !, il nous fault aller boire...jamais je ne boiray dist il , car je suis mort !!

En la fin, ung entre les aultres se advisa et dist " Puis que vous estes mort, vous ne pouvez demourer icy, comme beste, si vous porterons sur nostre chariot, au cymitière de nostre ville ". Si tantost l'yvroingne fut troussé et mis dedans le chariot.

Le dit chariot estoit bien bastelé (chargé de monde) et tantost furent à Stevelinghes ou ce bon yvroygne fut descendu tout devant sa maison. A sa femme et ses enfants, ce bon corps saint, qui dormoit si fort fut rendu et en son lit fut jecter !!! 



PS: cette nouvelle fait partie d'un recueil de contes qui furent racontés dans l'intervalle de l'année 1456 à l'année 1461....Je souhaite à tous les visiteurs du Blog de bonnes fêtes de fin d'année M de V

vendredi 8 décembre 2023

Du Prêt gracieux à l'Usure au Moyen âge

Prêter n'était pas toujours usure !!, bien au contraire. Les gens victimes d'un mauvais sort, ou d'une récolte médiocre, trop maigre pour ensemencer leurs champs de la saison suivante, ou à court d'argent pour payer du matériel à acheter, voir même posséder des fonds pour un repas de noce pour leurs filles, n'étaient pas tous réduit à la triste condition de mettre en gage, sa terre, sa vaisselle ou ses bijoux chez un Usurier impitoyable. Aider son prochain, prêter gracieusement pour permettre de survivre quelques mois était oeuvre pie aux yeux de Dieu. Une bonne action qui, dans la communauté, fortifiait les liens sociaux, plaçait l'homme prêteur, en bonne estime parmi ses parents et ses voisins.

Le prêt en échange de services, ou à charge de revanche, voir même sans rien attendre en retour était courant, on accordait des prêts pour garder bonne renommée et bon crédit auprès des gens pour les affaires futures !

Nous négligeons actuellement d'autres solidarités, bien réelles et partout présentes au moyen age. L'homme n'était pas seul il pouvait compter, largement sur le soutien d'un groupe, rassemblant hommes et femmes d'un même rang social, guildes, corporations de métiers, associations à caractère religieux, d'activités et de richesses variés





Puis les familles n'étaient pas celles d'aujourd'hui qui, conjugale, recomposée ou monoparentale ne compte qu'un nombre restreint de personnes, mais un " Clan ", une sorte de tribu, formée de plusieurs couples, jusqu'à quelques dizaines portant tous le même nom, vivant proches les uns des autres dans bourgs et cités

Sans compter que pratiquer l'entraide entre voisins pour vivre en paix et faire sereinement ses affaires était un devoir. L'ont souvent appris à leurs dépens les pères et les aînés qui, dans leurs testaments se font un devoir de faire leçon aux plus jeunes, faisant adjoindre par un copiste sur le parchemin cette phrase " si tu ne peux avoir nombre d'amis tout autour de toi, si on fait visage de ne point t'aimer, prends tes meubles, déménage et va vivre ailleurs "

Les journaux domestiques, que l'on nommait " livres de raison " autrefois n'ont pas été aussi bien conservés que nous l'aimerions. le soin de conserver ce qui pourrait servir à l'histoire de la lignée ne s'est imposé que tardivement. Il en va de même des archives des actes notariés, qui furent elles aussi détruites dans plusieurs cités de France. Ce ne fut qu'au XIV siècle que l'on obligea les notaires à les conserver chez eux. On interdisait aux valets d'allumer le feu avec, ou aux ménagères d'en faire des couvercles pour conserves et confitures !!!





Marchands et Artisans agissent de même. Un jean Blazin, originaire de Montpellier, tient commerce d'huile et de savon à Marseille. Cet homme n'est pas un gagne petit !! Il posséde quatre domaines agraires qu'il loue à des Tenanciers lui versant un " Cens " chaque année, une maison à Peyrotere, non loin d'Aubagne, et plus loin dans le pays de Forcalquier, en haute Provence, une vigne à l'Hospitalet

En feuilletant son livre de comptes on le suit au printemps 1334, achetant de l'huile à Aigues Mortes et participant pour la somme de 530 Livres ( soit 63 629,08 euros de notre époque ), dans un chargement maritime vers Manfredonia dans les Pouilles !

Notre Marchand est riche, mais on remarque qu'il fait toujours crédit à ses pratiques et prête volontiers de l'argent à ses voisins et amis, qu'ils remboursent en une dizaine de versements sans qu'il soit question ni d'intérêts, ni de pénalités

Ces prêts il les consentaient même pour de petites sommes, comme pour une certaine Johaneta Castrelègues qui lui doit la somme de 10 Sols ( équivalent à une centaine d'euros de nos jours ), prêté un 5 février parce que son mari était malade nécessitant soins et médications, le Médicastre et l'Apothicaire ne connaisant ni la Sécu, ni la Mutuelle !






Notre Johaneta n'avait laissé en gage qu'un simple justaucorps vert !!!. C'est l'image d'une société ou les pauvres trouvent de l'aide sans voir leurs terres ou leurs maisons passer aux mains d'un " Usurier ", homme d'argent appliqué à se construire une fortune sur le dos des pauvres gens dans le besoin...Je sais pas vous ? mais moi cela me fait penser à une engeance très présente de notre siècle non ????

Il est à noter que plus on s'approche de la fin du Moyen Age, plus les Changeurs et les Prêteurs, dont le métier était l'Argent, deviendront prêteurs à intérets...autrement dit des Usuriers !



PS: Malheur à ceux dont le pays est dirigé par un financier ! une personne qui, sans vergogne va vous tondre la laine du dos....mais jusqu'à faire saigner le cuir j'fais pas dans la délation et j'donne point de nom !!!   M de V