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mardi 18 avril 2017

Crécy selon Froissart suite 2/2


Le vaillant et gentil Roi de Bohême qui s'appelait Jean de Luxembourg, car il était fils de l' empereur  Henri de Luxembourg, entendit par ses gens que la bataille avait commencée; car, quoiqu'il fut là armé et en grand appareil, il ne voyait goutte et était aveugle.

Si demanda aux chevaliers qui étaient auprès de lui comment se comportaient l'ordonnance de leurs gens. 

Ils lui dirent la vérité: "il en va couci-couci.

Tout d'abord les Génois sont déconfits, et le Roi de France a ordonné de les tuer tous. Et il y a entre nos gens et eux une si grande mêlée que c'est merveille, car ils trébuchent et tombent les uns sur les autres et nous embarrassent grandement ". Ah répondit le roi de Bohême c'est un triste commencement pour nous !. Alors il demanda ou est Messire Charles mon fils, ceux ci répondirent " nous ne savons pas monseigneur, nous croyons qu'il est quelque autre part à combattre."

Alors dit le vaillant roi à ses gens avec grand courage: " seigneurs vous êtes mes hommes, mes amis et mes compagnons. A la journée d'aujourd'hui, je vous prie et requiers très spécialement que vous me meniez si avant que je puisse frapper un coup d'épée. " Et ceux qui étaient avec lui, et qui aimaient son honneur et sa gloire, le lui promirent. 

La était le Moine de Basèle et aussi plusieurs bons chevaliers du Luxembourg, qui étaient tous près de lui. Alors pour s'acquitter de leur promesse, et par peur de le perdre dans la presse, ils lièrent ensemble les freins de leurs chevaux, et mirent le roi devant pour mieux accomplir son dessin. Et ainsi s'en allèrent contre les ennemis.

Il est bien vrai que de bons gens d'armes et de la noble chevalerie que le roi de France avait là en grande foison, résulta trop peu de grands faits d'armes; car la bataille commençait tard et les Français étaient déjà las et épuisés en arrivant.












Toutefois les vaillants hommes et les bons chevaliers, pour leur honneur, chevauchaient toujours en avant, et ils aimaient mieux mourir que de s'attirer le reproche d'une vilaine fuite. La était parmi les bons chevaliers de France Messire Charles de Bohême, il vint en bien bon ordre jusqu'à la bataille; mais quand il vit que la chose allait mal pour eux, il partit, et je ne sais quel chemin il prit. 

Le bon roi son père, Jean de Bohême, n'en fit pas autant, car il alla si avant contre les ennemis qu'il frappa plusieurs coups d'épée et combattit vaillamment. Et ainsi firent tous ceux qui l'avaient accompagné, et ils le suivirent si bien avant parmi les Anglais que tous y demeurèrent. Nul n'en revint, et on les trouva le lendemain sur la place autour du roi leur seigneur, avec leurs chevaux tous attachés ensemble.

Vous devez comprendre que le Roi de France avait grande angoisse au coeur quand il voyait ainsi ses gens déconfits et battus par une poignée de gens qu'étaient les Anglais. Il en demanda conseil à messire Jean de Hainault, qui était auprès de lui. Ledit messire lui répondit " certes sire, je ne vous saurais conseiller. Le meilleur pour vous serait de vous retirer et de vous mettre en sûreté, car je ne vois point de remède. Il sera bientôt tard, vous pourriez aussi bien chevaucher sus à vos ennemis et être perdu que rester entre vos amis".

Le roi qui frémissait de mécontentement et de colère, ne répondit point, mais chevaucha un peu plus avant; et il pensa qu'il allait se diriger vers son frère le Comte d'Alençon, dont il voyait les bannières sur une petite montagne. Lequel Comte d'Alençon descendit en bon ordre contre les Anglais et les vint combattre, et le Comte de Flandres d'autres part, jusqu'à la bataille du Prince. Et volontiers y fut venu le Roi Philippe, s'il eût pu; mais il y avait devant eux si grande haie d'archers et de gens d'armes que jamais il n'eut pu passer, car plus il avançait plus sa suite s'éclaircissait.

Cette bataille entre Broye et Crécy fut cruelle et terrible, tardivement commencée, ce qui fit plus de tort aux Français que tout autre chose. Car les gens d'armes, les chevaliers et les écuyers, par la nuit perdaient leurs seigneurs et leurs maîtres. Ils erraient par les gens et souvent s'engageaient en désordre parmi les Anglais, en sorte qu'ils étaient bientôt attaqués et occis. Car nul n'était pris à rançon ni à merci. Ainsi avait il été ordonné dès le matin.

Le comte d'Alençon et le Comte de Flandres qui combattaient chacun sous sa bannière et avec ses gens ne purent résister à la puissance des Anglais, et furent là tués sur la place avec grande foison de chevaliers et  d'écuyers auprès d'eux. Le Comte de Blois et le Duc de Lorraine, son beau frère, avec leurs gens étaient entourés d'une troupe d'Anglais et de Gallois qui ne prenaient personne à merci. La ils firent de beaux exploits, mais leurs prouesses ne leur servi de rien, car ils demeurèrent sur la place et tous ceux qui étaient avec eux. Ainsi fit de même le Comte d'Auxerre et le Comte de Saint Pol, et tant d'autres que ce serait merveille à raconter.

Sur le soir à nuit tombée, partit le Roi Philippe, tout déconforté, ce dont il y avait bien matière, lui et cinq barons seulement, messire Jean de Hainault, le sire de Montmorency, le sire de Beaujeu, le sire d'Aubigny et le sire de Montsault. Ainsi chevaucha le roi, se lamentant et regrettant ses gens jusqu'au château de la Broye. Du champ de bataille l'avait emmené messire Jean de Hainault, par le frein de son cheval, car il était son garde et son conseiller et lui dit: " sire, venez vous en, il est temps, ne vous perdez pas inutilement, si vous avez perdu cette fois, vous regagnerez une autre fois " la dessus messire Jean l'emmena comme par force.

Sachez donc que si les Anglais eussent fait la poursuite ainsi qu'ils le firent à Poitiers, bien plus grande eût été la déconfiture et la perte pour les Français qui déjà furent grandes et horribles, si bien que le royaume de France en est demeuré affaibli d'honneur, de puissance et de sagesse. Mais ce samedi, nul Anglais ne sorti de ses rangs afin de pourchasser un homme, et se tenaient à leurs places, gardant la terre et se défendant seulement à ceux qui les assaillaient, et de tous les beaux faits de leur parti, bien furent les Archers de grand secours par leurs traits; car par eux seulement furent ces quinze mille Génois déconfits, ce qui fut aux Anglais à grand avantage.

Ce samedi, quand la nuit fut toute venue et que l'on entendait plus crier ni appeler, ni nommer les enseignes et les seigneurs, les Anglais tinrent la place pour être à eux et leurs ennemis déconfits. Ils allumèrent donc grand foison de falots et de torches. Et alors descendit le Roi Edouard et il s'en vint avec sa bataille en bon ordre vers son fils le Prince.

Vous devez savoir que grande joie au coeur eurent les Anglais quand ils virent que la place leur était demeurée, ils chevauchèrent tout le dimanche, environ cinq cent hommes d'armes et deux mille archers, pour voir s'ils trouveraient quelques Français qui se fussent rassemblés. Lesquels rencontrèrent les gens des communes de Rouen et de Beauvais, qui étaient partis de Saint Riquier et d'Abeville sans rien savoir de la déconfiture qui avait été faite le samedi, ils furent bientôt morts sur le champ, dans les haies et les buissons. Et ainsi périrent aussi l'Archevêque de Rouen et le grand prieur de France avec leur troupe.

Quand ces chevaucheurs revinrent et dirent au Roi qu'il n'y avait plus apparence d'aucune assemblée de français, le roi Edouard décida d'envoyer des gens pour relever les morts, afin de savoir qui avait succombé. Et il en chargea messire Renaud de Cobham et messire Richard de Stafford, qui se mirent en peine de voir et visiter tous les occis. Ils en trouvèrent si grand foison qu'ils en furent tout émerveillés. Le soir très tard comme le Roi allait souper, lui rapportèrent que onze chefs princiers, quatre vingt bannerets et douze cent chevaliers d'un écu, ainsi qu' environ trente mille hommes d'autres gens étaient demeurés sur place. Le roi et son fils plaignirent la mort du vaillant roi de Bohême, il publia une trêve de trois jours pour enterrer les morts.

                            Si louèrent Dieu d'un grand coeur le roi d'Angleterre et son fils
                              de la belle journée qu'il leur avait envoyée, et de ce qu'une
                                    poignée de gens qu'ils étaient en comparaison des
                                         Français, avaient déconfis leurs ennemis.  



PS: Avis de Joseph Calmette, membre de l'institut, sur Philippe VI de Valois, je cite: Pour se consolider sur le Trône ce roi aurait eut besoin d'un esprit politique, qui justement lui faisait défaut!, car redisons le c'était un chevalier avant tout, l'esprit d'aventure était en lui, plus que le sens de la raison d'état. Fastueux, dépensier; hanté par le mirage des exploits et du prestige. Cet héritier va accumuler en quelques années une incroyable série d'erreurs.

Il faut toute l'irréflexion, toute l'inexpérience de ce féodal inopinément haussé à la dignité de chef d'état pour méconnaître les symptômes précurseurs du cataclysme qui va fondre sur la France. M de V

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