C'est à partir du XIV siècle que commence à monter dans la société occidentale " l'élement bourgeois " et ses valeurs prosaïques, qu'une littérature épique et narrative, encouragée par une noblesse menacée, va renforcer l'exaltation sans nuance de la Témérité !
Citons Jehan Froissart qui dans ce siècle était le porte étendart d'une noblesse à bout de souffle et ruinée par la guerre de cent ans " Comme la bûche ne peut brûler sans feu, le Gentilhomme ne peut accéder à l'honneur parfait, ni à la gloire du monde, sans prouesse "
Plus tard, au XV siècle, le même idéal inspire Jehan de Saintré. Pour ce auteur un chevalier digne de ce titre doit braver les dangers par amour de la gloire et de sa Dame " il est cellui, dit il, qui fait tant que les austres ont nouvelles de lui " par des exploits guerriers s'entend, le noble de cette époque ne peut être que d'épée c'est à dire guerrier !!!
On risque davantage sa vie pour acquérir plus d'honneur dans des combats inégaux. Ceux ci sont le lot quotidien d'un " Amadis de Gaule " un héros issu du cycle du roman Breton édité en Espagne, en France et en Italie, ou encore le " Roland furieux " d'Arioste, paladin inaccessible à la peur, méprisant la vile troupe des Sarrazins qui l'attaque à Roncevaux. Quand aux chevaliers chrétiens que Tasso met en scène dans " la Jérusalem délivrée ", ou piaffant d'impatience nos chevaliers attaquent, devançant le signal de la trompette et du tambour en poussant de hauts cris d'allégresse !!
Il en va de même pour les chroniqueurs, ces auteurs intarissables sur l'héroïsme de la noblesse et des princes, ceux ci étant fleurs de toute noblesse et sont présentés comme imperméables à toute crainte. On cite un sinistre bouffon comme Jean sans Peur qui gagne ce surnom en luttant contre les Liégeois en 1408, ou également un autre Duc de Bourgogne comme Charles le Téméraire, ce Paon rutilant que l'on couvre d'hyperboliques éloges " il estoit fier et haut en courage, sans peur et sans hyde (frayeur), et si Hector fut vaillant devant Troyes, cestoit l'estoit tout autant ", ainsi parle Chastellain
Que pourrait on ajouter à la gloire environnant Bayard de son vivant " sans paour et sans reproche ", qui à sa mort met toute la noblesse en deuil. Tout cela fait contraste avec la masse des Vilains réputée sans courage !!!
Jadis Virgile avait écrit " la peur est la preuve d'une naissance basse " (Enéide), et cette affirmation fut longtemps tenue pour évidente !. Un chroniqueur comme Philippe de Commynes, reconnait qu'Archers et Arbalètriers sont devenus la souveraine chose du monde pour les batailles, mais il faut, ajoute t'il, les rassurer par la présence auprès d'eux d'une grande quantité de nobles et de Chevaliers et leur donner du vin avant le combat afin de les aveugler face au danger ( ce qui fait sourire car ces gens avaient justement besoin d'être précis dans leurs tirs)
Au siège de Padoue notre bon Bayard s'insurge contre le fait d'avoir à mettre les Gens d'Armes Français à pieds et les faire charger aux côtés des Lansquenets qui selon lui " sont gens mécaniques et n'ont leur honneur en si grosse recommandation que les gentilhommes " . Même bien plus tard un Montaigne, qui ne savait pas la guerre et n'avait même jamais combattu, attribue aux humbles la propension à la Frayeur même s'ils sont soldats !, il ajoute même en supplément la Lacheté et la Cruauté, assurant que l'une et l'autre sont plus spécialement le fait de " cette canaille du vulgaire "
Si les nobles méprisaient les Vilains, ces derniers leurs rendaient bien, car les nombreuses défaites de la chevalerie lors de la guerre de cent ans avaient lassées le peuple du bourgeois au manant en passant par l'artisan et le manoeuvrier !
Bref - ce lieu commun - ou les humbles sont peureux et que " du manant au vilain ce ne sont que merdaille " reste encore très vivace tout au long de la renaissance voir même plus tard !. Ces quelques rappels que l'on pourrait indéfiniment multiplier, pour dire, que cela fait ressortir les raisons idéologiques de ce long silence sur le rôle de la peur dans l'histoire des hommes, de l'antiquité jusqu'à une période très récente !!
Cependant Peur et Lâcheté ne sont point synonymes et l'on peut se demander si ce n'est pas à partir de la Renaissance qu'il y a une prise de conscience plus nette des menaces qui pèsent sur les hommes au combat et dans la vie courante ?, dans ce monde mais aussi dans l'autre !!
Prenons un des derniers grand Roy de la toute fin du Moyen âge, Louis XI était un monarque prudent, intelligent et méfiant (voir article ), il ne manquait pas de courage, comme à la bataille de Montlhéry ou lorsqu'on l'avertit sans ménagement de sa fin prochaine (voir article)
Commynes nous dit " il endura vertueusement tant de choses jusqu'à sa mort " et d'ajouter " plus que nul homme que jaye jamais vu mourir ", pourtant ce souverain fut méprisé par beaucoup de ses contemporains ils le jugeaient trop " craintif ", alors que tous les grands féodaux courbèrent l'échine devant lui
Dans ses vieux jours il est vrai qu'il entra en suspicion de tout le monde et entouré en permanence par les 400 mercenaires Ecossais de sa garde personnelle. Mais plus largement Louis XI craignait la mort (voir article)
Commynes dit " Oncques homme ne craignit tant la mort, ny ne fit tant de choses pour y mettre remède " (voir article), puis il poursuit en disant " tout le temps de sa vie il avoit prié ses serviteurs et moi même, que si on le voyait proche de la mort de lui dire simplement...Parlez peu...puis de l'enjoindre à se confesser ....sans prononcer ce cruel mot ...de mort !. Car il sembloit au Roy n'avoir jamais assez de coeur pour ouyr une si cruelle sentence " ...comme dit votre copiste le Nain : qui que vous soyez puissant ou manant on est toujours seul face à sa mort !!!!
PS : Je ne peux que vous enjoindre à lire, si vous le trouvez !!, La Peur en Occident de Jean Delumeau, historien et professeur au Collège de France à partir de 1975 et décédé en 2020, j'utiliserais son livre pour vous relater d'autres peurs merci Monsieur Delumeau ....M de V
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