note de l'administrateur : J'ai retrouvé dans de vieilles archives, les actes du Colloque international de Cocherel, on y brosse un portrait de Bertrand qui semble être le plus réaliste que j'ai pu lire jusqu'à maintenant. Je me propose donc de vous le transmettre sans rien retrancher, il fut écrit par monsieur Samaran, membre de l'institut, directeur honoraire des Archives de France. M de V
Il était d'une laideur formidable, je veux dire, capable d'inspirer la crainte. Il avait la face camuse et basanée, le front bombé, les yeux saillants, les lèvres épaisses, un corps ramassé à la poitrine osseuse et carrée, aux épaules en porte manteau, presque difformes, aux bras trop longs, aux jambes trop courtes. C'est ainsi tout au moins que l'ont représenté au naturel, avec un réalisme impitoyable, aidés probablement par le masque mortuaire des imagiers chargés de tailler son effigie pour son tombeau. Vous avez peut être vu, dans la Basilique de Saint Denis, ce portrait cruel, d'une vérité criante. C'est tout ce qui reste du monument du grand Connétable, mais c'est bien l'essentiel!. Il fallait insister dès l'abord sur cette laideur presque monstrueuse de Du Guesclin, car elle explique à la fois la violence de ses premiers réflexes d'enfant disgracié, rebuté par ses parents, moqué par ses camarades, et la volonté qu'il manifesta très vite de prendre sa revanche sur le sort.
Bertrand Du Guesclin, aîné de dix enfants naquit vers l'année 1320, au château de la Motte Broons, à quelques lieues au sud ouest de Dinan sur la Rance, de père Breton et de mère Normande. De son manoir natal il ne reste plus pierre sur pierre, mais on peut penser qu'il tenait de la ferme plus encore que de la gentilhommière.Si son père, en effet, appartenait à une branche cadette de l'une des meilleures famille de Bretagne, il ne possédait guère, en revanche, d'autre trésor que cette honrable parenté, rehaussé poutant d'une autre, plus problématique celle là, sinon même légendaire, qui aurait fait des Du Guesclin des descendants d'un roi sarrazin.?
Quand à ce nom bien Breton, destiné à retentir si souvent dans les combats et à être écorché par tant de bouches et en tant de langues, c'est apparemment celui d'une antique forteresse dont il faut chercher l'emplacement entre Saint Malo et Cancale, au sommet d'un rocher escarpé dominant la mer. Les " enfances Bertrand ", pour user d'une expression qui convient à merveille au héros dont une véritable chanson de geste, la dernière, devait chanter ses exploits, les enfances de Bertrand furent tès mouvementées. De caractère intraitable et de manières presque sauvages, le jeune garçon revendique d'abord avec fougue sa place au foyer paternel; puis, à la tête des petits paysans du voisinage, il organise des jeux guerriers qui finissent parfois assez mal, mais contribuent à lui faire, dans un corpd de fer une âme indomptable.
D'aller aux écoles il n'est, bien entendu, pas beaucoup question: " car lire ne savait, ni écrire ni compter " dira de Du Guesclin le jongleur attardé dont je parlais tout à l'heure, non sans exagérer peut être un peu, puisque nous avons des signatures de lui, à vrai dire assez maladroites. Il n'a qu'une passion, la lutte, lutte chevaleresque des tournois d'abord, puis la lutte à mort et par tous les moyens contre les envahisseurs anglais dans les landes et dans les bois de son pays, spécialement dans la forêt de Paimpont, l'antique et fabuleuse Brocéliande. Devenu chef de partisans au service de son Duc Charles de Blois, de sainte mémoire, il est armé chevalier sur le champ de bataille et se distingue en 1357 au siège de Rennes, qui marque une étape importante de sa vie militaire.
Et dès lors va se développer, pendant trente ans, une éblouissante carrière de soldat, dont la principale caractéristique ( qui le met bien à part parmi les capitaines de son temps, car tous plus ou moins à vendre au plus offrant) et qu'elle se passe d'un bout à l'autre au service de ses deux suzerains naturels, le Duc de Bretagne et le Roi de France !!! Même quand il combat en Espagne avec les grandes compagnies, c'est de l'aveu de Charles V et pour servir sa politique. Impossible de suivre "Messire Bertrand", comme on l'appelait, dans le détail des innombrables actions de guerre auxquelles il prit une part presque toujours heureuse, de Ponvallin à Cocherel et de Cocherel à Montiel (dans la manche), et à Najera ( en vieille Castille) ou accablé par le nombre, il fut fait prisonnier.
Partout il se montre chef accompli, maître dans l'art du recruteur et du conducteur d'hommes, soucieux du bien être et ménager du sang de ses soldats. Brave jusqu'à la témérité, il sait à l'occasion user de stratagèmes. Tantôt il attaque les places fortes de front et escalade le premier la muraille, parfois dans des situations si périlleuses, comme à Melun, qu'en dépit de sa force il est renversé tête première dans le fossé. Tantôt il pénètre, comme à Fougeray, avec de soi disant bûcherons ou bergers pour se démasquer au moment favorable et fondre sur l'ennemi l'épée haute aux cris de " Notre Dame Guesclin!" Mais ce batteur d'estrade est aussi un stratège, il s'entend à combiner un plan de campagne et à manoeuvrer sur le terrain. Il a d'ailleurs l'intelligence vive de l'esprit et, à l'occasion, la répartie prompte, cinglante, voire cynique. Voici quelques unes de ses saillies, telles que ses contemporains nous les ont rapportées. Ce ne sont peut être pas les propres paroles de Bertrand, mais les témoignages sont suffisamment concordants pour qu'ils inspirent confiance.
Un jour donc, le Duc de Lancastre, chef d'une armée anglaise qu'il combattait, l'invita, moyennant un sauf conduit, à le visiter sous sa tente.....on se faisait alors de ces politesses entre ennemis......et l'on en vint à parler des pertes en vies humaines qu'il fallait craindre si on ne trouvait pas le moyen d'arrêter les hostilités: " Bah ! s'écria Bertrand, s'il y a beaucoup de gens tués, c'est tant mieux pour les survivants; leur part d'héritage en sera d'autant plus belle "
Il avait conscience de sa valeur et ne faisait pas le modeste. Comme il menaçait le habitants d'une ville d'en faire raser les murailles s'ils ne tenaient pas leur promesse de se rendre à l'obéissance du roi, et comme un Bourgeois lui tenait tête, disant qu'il n'en viendrait pas facilement à bout: " sachez, s'écria Bertrand, que si le soleil entre dans ville ou château que vous ayez, moi aussi j'y entrerai !. Qui ne connait enfin sa fière réponse au prince de Galles, entre les mains de qui le mauvais sort l'avait fait tomber au cours de la guerre de Castille ? Bertrand n'avait pas craint de piquer au vif son vainqueur du moment en lui laissant entendre, que s'il le mettait à rançon, c'était par peur de lui voir reprendre le commandement des armées Françaises: Par Saint Georges, avait rétorqué l'anglais, vous croyez que c'est pour cela que nous vous gardons. Eh bien ! payez cent mille francs (c'était alors la dot d'une fille de roi), et vous êtes libre.
Et Messire Bertrand l'ayant pris au mot: mais dit le prince, ou prendrez vous somme pareille !!!, et Bertrand de répondre: Monseigneur le roi de Castille en payera la moitié, le roi de France le reste, et si ce n'était assez, il n'y a femme en France sachant filer qui ne filât pour ma rançon.
La victoire de Cocherel avait valu à Du Guesclin une magnifique seigneurie, le Comté de Longueville (au pays de Dieppe). En récompense de son intervention foudroyante contre Pierre le Cruel, Henri de Transtamare le fit Duc de Molina et Connétable de Castille. Devenu en 1370 Connétable de France, ce qui pour un simple chevalier représentait alors une fortune presque incroyable, Du Guesclin continuait au cours des années suivantes, à libérer peu à peu le territoire lorsqu'un mal inconnu le saisit et l'emporta, le 13 juillet 1380, devant Châteauneuf de Randon en Gévaudan (Lozère). On embauma son corps, mais, soit maladresse des praticiens, soit l'effet de la chaleur estivale, l'opération ne réussit pas. On dut, suivant un procédé fréquemment usité au Moyen Age, faire bouillir le cadavre et le réduire en squelette après en avoir extrait les viscères. Puis commença le voyage triomphal de ce mort glorieux.
Les entrailles furent confiées en passant à une église du Puy en Velay, le coeur envoyé aux Jacobins de Dinan, ou par testament il avait élu se sépulture. Puis Charles V ayant décidé de le fair inhumer à Saint Denis aux pieds même du tombeau qu'il se faisait préparer pour lui même, ce qui restait de la dépouille motelle prit à petites journées, le chemin de Paris, recevant partout les plus touchants hommages.
Certes, nul n'en était plus digne que celui qui avait rendu confiance aux Français après les désastres de Crécy et de Poitiers et qui aurait sans doute sauvé pour longtemps notre pays si, quelques années après sa mort, la folie du fils aîné de Charles V n'avait donné le signal de la guerre civile et rendu la France au chaos. Parmi les services insignes que Du Guesclin a rendu à la France il en est deux qu'il faut, en tout premier lieu retenir. Il a (ou peut s'en faut) débarrassé le royaume de ces débris d'armées qu'on appelait les compagnies et qui volant, violant, vivants de rapines et de chantages, mettaient en coupe réglée des régions entières. Il a reconquis sur les anglais, ville à ville, village à village, château à château, presque toutes les provinces françaises envahies, sauf Calais, Bordeaux et Bayonne.
PS: pour tout cela, Bertrand Du Guesclin a été de son temps égalé aux plus fameux héros de l'histoire et de la légende. Il a été chanté comme le dixième preux. Il est vraiment la dernière figure épique de notre Moyen Age. M de V
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