Aucun des contemporains de Rutebeuf, aucun des auteurs anciens n'a laissé sur lui le moindre témoignage !, ni ne l'a nommé une seule fois dans aucun texte qui nous soit parvenu, tout ce que l'on sait à son sujet se tire de ses poèmes !!
Son nom déjà est une question en elle même, notre auteur s'est nommé dans plusieurs de ses pièces, mais les copistes ne s'accorderont pas entre eux sur la forme de son nom, "Rutebeuf", d'autres donneront "Rustebuef" et dans six passages l'auteur se nomme lui même "Rustebués" ??
Bien sur on n'est pas obligé d'accepter l'étymologie que l'auteur donne de son nom !!, il a existé en France des appellatifs dont le Latin a rendu la finale par "bodus" devenu "buef", en français, ainsi "magnibodus" donnait "mainbeuf", puis "marbodus" devient "marbeuf", puis "tudebodus" donnant "tubeuf"...etc. De plus les formes romanes ont prêté à confusion entre "Beuf" - "bodus" et "buef"- "bos"
On ignore le lieu de sa naissance et cela même si l'on soupçonne depuis fort longtemps qu'il fut Champenois
Il est néanmoins un fait certain c'est qu'en 1249, au moment ou il écrivait le plus ancien de ses poèmes connus " le dit du cordelier ", il se trouvait à Troyes et très au fait des conflits locaux qui lui fournissent le sujet de sa pièce !
Longtemps par la suite on voit notre homme intéressé par de grands personnages résidant en Paris mais dont les Fiefs étaient dans l'Est, il compose notamment en faveur de Geoffroi de Sergines,dont le château est au nord de Sens à la limite de la Champagne. Il va composer l'éloge funèbre de Thibaut V de Navarre, Comte de Champagne, puis il écrit pour Eudes de Nevers et Erart de Lezinnes, d'autres Champenois.
Il avait certainement fait de solides études et maîtrisait fort bien le Latin, ses écrits le prouvent, de sa "vie de Marie l'égyptienne", ou son " miracle de Théophile", qui font référence à des textes écrits en latin. Puis Erart de Lezinnes lui fait traduire "la vie de sainte Elysatiel" en rimes françoises !!. Et dans son "dit d'Aristote", il a tiré d'un livre en vers les enseignements du philosophe, c'était "l'alexandreide latine" de Gautier de Chatillon
Si l'on désire expliquer la condition sociale de la vie de Rutebeuf, il faut partir de ce qu'il était de nature et de condition et pour ce faire nous avons sa confession, qu'il y a tout lieu de croire comme sincère et véridique
Il faut cependant ne pas prendre au pied de la lettre toutes ses paroles, surtout lorsqu'il parle et dépeint sa pauvreté en forçant le trait, noircissant la réalité afin d'émouvoir un éventuel protecteur !! Ils en étaient tous la nos auteurs à jouer de cette corde sensible, mais au moyen âge c'était vital d'avoir un protecteur
Notre bonhomme était sans métier, dans " le mariage de Rutebeuf ", il dit " je ne sui pas ovriers des mains ", et dans " la complainte de Constantinople ", il dit " sospirant por l'umain lignage, vos veuil descouvrir mon corage, que ne sait autre laborage "
S'il ne savait "ouvrer des mains" c'est qu'il ne l'avait pas appris, probablement parce qu'il était du monde des écoles, venu et resté aux études " por pris et por honor conquerre ", puis comme beaucoup d'escoliers du XII siècle débouchaient une fois leurs études terminées, dans la société par la voie de la misère
Ils venaient grossir la troupe des errants et des faméliques chômeurs, pour se résigner à cette existence, qui ne connaissait de joie que le paradis éphémère de la Taverne (voir article), ou l'on jouait buvait, il fallait un caractère impropre à ce courage qui permet à l'homme de repartir sur le chemin du labeur !
Son surnom qu'il avait accepté comme un vrai nom et qu'il explique lui même complaisamment, semble le désigner comme un lourdaud paresseux, grand dormeur ou les vapeurs de vin y étaient sûrement pour quelque chose
Habile à tourner les vers et la poésie qui nourrissait son homme tant bien que mal, il pris la Vielle du jongleur et du ménestrel, condition précaire ou l'existence dépend des libéralités des nantis !!. Il dira dans son " pauvreté Rutebeuf ", je cite: " molt i a dolor et destresce, quand l'en chiet en autrui dangier, por son boire et son mengier ".
Entré dans la troupe des amuseurs, il vivra leur vie, parfois avec une aisance relative, ayant foyer, femme, enfants et nourrice, possédant cheval et recevant ses amis
Mais comme beaucoup de gens comme lui il jouera et perdra beaucoup, puis il contractera une maladie qui lui fera perdre un oeil, ensuite il s'enfoncera dans la ruine
C'est sans doute le sentiment de sa propre misère qui va l'inspirer sur le sort pitoyable de la plèbe des tavernes et des ribauds de la place de Grève, tous ces gens perdus par le vice la paresse ou la dureté de cette société médiévale, les quelques vers les plus émouvants de notre littérature !!!
PS: d'après les oeuvres complètes de Rutebeuf par Edmond Faral et Julia Bastin M de V
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